Primer Museo Virtual de la realidad de la prostitución:Fotografía, pintura, poesía, literatura, putas imprescindibles de la historia, películas, canciones, nos cuentan miles de historias, son verdaderas joyas. Se agradece cualquier aportación que se haga. Vuestra colaboración será necesaria para dar a conocer como és y ha sido esta realidad social y entre todas las personas contribuiremos a des estigmatizarla. Muchas gracias
Après le cinéma, la littérature, le théâtre (ici et là), l'opéra, le blues ou la chanson réaliste, la prostitution dans la peinture est le dernier volet de notre série interrogeant les références à la prostitution à travers les arts, dans le contexte du débat et de l'adoption de la loi, le 4 décembre à l'Assemblée nationale, visant à pénaliser les clients.
Quand on provoque une discussion entre deux spécialistes de
l'histoire de l'art, en l'occurrence Philippe Dagen et Harry Bellet,
journalistes au Monde, sur les représentations de la
prostitution à travers les siècles, elle est forcément animée et
érudite. Voici dix points clés qui sont ressortis de cet échange.
La « Laïs de Corinthe » d'Holbein : un portrait « exceptionnel »
Harry Bellet : « La première peinture à laquelle on pense, c'est la Laïs de Corinthe
(1526), attribuée à Holbein, qui est au Kunstmuseum de Bâle. Laïs de
Corinthe était une des grandes cocottes de l'Antiquité, et quand il
s'agit de représenter une prostituée, de luxe en l'occurrence – en Grèce, elle rendait fous tous les mâles et jusqu'aux philosophes –, Holbein au XVIe
siècle choisit ce personnage. Et c'est parlant dans ce portrait : elle
est habillée, elle est assise devant une table, mais il y a de l'argent.
Ce n'est donc pas du tout une vision grivoise, c'est la description
d'une femme vénale. A ceci près qu'à l'époque d'Holbein, concernant ce
que nos députés ont décidé, ce sont les autorités locales qui prennent
la décision d'ouvrir des maisons de passe. Au milieu du XVe siècle, il y a un concile à Bâle, qui va attirer
les plus grands noms de l'Eglise de l'époque. Le concile se réunit pour
plusieurs années, et en prévision de l'arrivée massive de clercs, la
municipalité décide et finance l'ouverture de deux bordels en périphérie
du centre-ville. Il s'agit fondamentalement d'éviter que les jeunes mâles, célibataires ou pas, aillent taquiner les bourgeoises. » Philippe Dagen : « Quand on fait de la peinture à cette époque-là, ce n'est pas pour peindre des prostituées. On fait de la peinture pour des églises, pour des couvents, pour des monastères, on ne va pas peindre
des prostituées. La seule que l'on peigne éventuellement, c'est
Marie-Madeleine, mais c'est toujours une Marie-Madeleine repentante. » HB : « Oui, ce tableau est exceptionnel dans la production du XVIe
siècle. A l'époque, on fait rarement un tableau qui n'est pas une
commande. On ne sait pas pourquoi Holbein l'a fait. Mais c'est aussi un
moment où, avec la montée du protestantisme
à Bâle, il y a un débat sur la prostitution... Il est possible, par
ailleurs que le tableau ait choqué, parce que le modèle est parfaitement
connu des Bâlois de l'époque : c'est Magdalena Von Offenburg, qui est
la veuve d'un ancien édile de la ville. On ne sais pas très bien si elle
savait qu'elle représenterait une prostituée lorsqu'elle a posé, mais
le fait de la représenter en cocotte n'est pas d'une tendresse absolue. » PhD : « Sinon, à la même époque, il y avait de
nombreuses gravures sur le sujet, parce que ça passe mieux, que ça ne
coûte pas cher à faire, celles d'Urs Graf notamment. »
« L'Entremetteuse » de Vermeer, premier grand tableau sur une scène de prostitution
PhD : « Dans les scènes de taverne des peintres flamands, style Teniers, ce ne sont pas forcément des prostituées qui sont représentées, ce peut être des gai-luronnes, des commères, qui peuvent avoir une certaine légèreté, mais qui ne seront pas payées. Pour prendre un terme du vieux français, ce sont des ribaudes, c'est à dire
des femmes de joyeuse vie, ce qui n'en fait pas des prostituées. Ce
sont deux situations sociales différentes. Je pense que le tableau
représentant une scène de prostitution le plus ancien, c'est L'Entremetteuse (1656) de Vermeer, avec la femme qui tend la main pour recevoir de l'argent. On comprend parfaitement que l'on est dans une scène de commerce. » HB : « Antérieurement, on peut bien sûr penser
à Pompéi, avec les plus anciennes représentations de la prostitution
dont on ait la trace, mais ce sont des décors érotiques sur les murs
d'un bordel. » PhD : « Et à Pompéi, on n'est pas dans une société
chrétienne, donc le rapport au sexe est quand même très différent, il
n'y a pas de rapport à la damnation et au péché. » HB : « Au début du Moyen-Age, les pères de l'Eglise
chrétienne estimaient que la prostitution était nécessaire. Il n'y a pas
de condamnation théologique du recours à la prostitution. Après le XVIe siècle, il y a un grand changement, mais pour l'Eglise du XVe siècle, la prostitution est normale, même si elle n'est pas pour autant représentée dans les tableaux. » PhD : « Et surtout pas les tableaux religieux ! Elle
est normale dans la société chrétienne, mais elle est masquée. Alors
qu'à Pompéi, elle se donnait à voir tout à fait librement. »
Le cas Manet, « le roi de l'ambiguïté »
HB : « Les grandes cocottes du XIXe , telles Cléo de Mérode ou Liane de Pougy, ne se laissent pas représenter comme telles, mais il y a L'Olympia [1863],
de Manet, qui en est une. Elle est dans son lit avec un petit chat, on
voit une certaine aisance, ne serait-ce que par la présence de la
servante, qui apporte des fleurs, l'hommage d'un admirateur passé,
présent ou à venir.
C'est une de ces jeunes femmes qui se sont élevées socialement avec les
moyens qu'elles avaient, et à l'époque, la référence est évidente. » PhD :« Le tableau a pu choquer, mais il montre les choses telles qu'elles étaient, dans leur banalité. Le Déjeuner sur l'herbe est aussi un tableau qui fait juste un constat sur les plaisirs champêtres. » HB : « C'est d'ailleurs une reprise d'un grand tableau de l'histoire de l'art, Le Concert champêtre de Giorgione, comme L'Olympia reprend la Vénus du Titien... » PhD : « Il y a une actualisation du nu, qui est
modernisé et qui est inscrit dans une réalité sociale. Pourtant les
réactions contre les œuvres de Manet ont été extrêmement violentes, ce
qu'il n'avait pas du tout anticipé. Lui avait le sentiment qu'il
peignait son monde, et ces réactions l'ont plutôt pris au dépourvu, et
même affligé. Hormis L'Olympia, qui est véritablement un portrait de demi-mondaine, Manet est quand même le roi de l'ambiguïté : Le Balcon est un portrait de famille,
alors que les femmes qui apparaissent sur les balcons à l'époque sont
habituellement des prostituées. Il y a aussi la serveuse d'Un bar aux Folies-Bergères. Il joue sur le trouble entre des définitions sociales. »
« Une étude des corps presque zoologique chez Degas »
HB : « Il n'y a pas plus de volonté de choquer chez Manet que chez Degas, qui se considérait comme “un pur classique ”. » PhD : « L'époque peut ne pas aimer
le reflet qu'on lui tend, mais ce n'est plus le problème de l'artiste,
c'est le problème de l'époque. Quand Degas va dans les maisons de passe,
dans le fond, il y va comme il va observer les danseuses à l'opéra, de manière anatomique : il va voir des gestes. Il s'agit pour lui d'avoir
une sorte de catalogue des positions du corps humain dans des
situations où on ne l'a généralement que peu ou mal observé, cela a un
caractère presque zoologique, pour comprendre le corps, voir le corps. Même si dans certains tableaux, il y a une dimension un peu narquoise, comme dans La
Fête de la patronne [de l'ensemble de monotypes qu'il a réalisés entre
1876 et 1879 et connu sous le nom de “Scènes de maisons closes”].
C'est une scène de genre, une cérémonie familiale dans un milieu clos où
des liens de tendresse se créent. Ce sont des femmes qui sont enfermées
dans un lieu dont elles ont souvent le plus grand mal à sortir, sauf circonstances particulières – pour aller à la messe par exemple ! –, et qui vivent entre elles. » HB : « Elles paraissent certes un peu caricaturales... Il faut dire que Degas est très misogyne. » PhD : « L'industrie
de la photographie pornographique, qui a été extrêmement prospère tout
au long du second Empire, donne une idée quand même très précise du physique des pensionnaires des maisons closes, et ce n'était pas des beautés
! C'était souvent des filles-mères, qui se sont retrouvées placées là
par la misère ou l'opprobre. Elles sont là parce qu'elles ne peuvent pas
être ailleurs. »
Toulouse-Lautrec, « le plus prolifique »
HB : « Il y a un aspect qui faisait partie du débat
d'aujourd'hui sur la pénalisation des clients de la prostitution : la
question des clients handicapés, et on pense immanquablement au cas de Toulouse-Lautrec [il avait développé dès l'enfance une maladie affectant le développement des os, due à la consanguinité de ses parents, cousins germains].
Lautrec est au bordel par plaisir, certes, mais par nécessité aussi. Il
y trouve une vraie affection, c'est un peu la mascotte des bordels
qu'il côtoie. C'est un tout petit bonhomme sympathique, bien élevé, il
ne méprise pas les prostituées, il leur parle bien. Il y avait toute une
partie de la population qui n'avait pas accès au sexe en dehors du bordel. » PhD : « Il avait gagné le sympathique surnom de “la cafetière”... [il souffrait de priapisme]. Lautrec a été le plus prolifique au XIXe siècle, mais il y a aussi beaucoup de scènes de bordel, y compris des scènes d'homosexualité féminine à comprendre comme des scènes de bordel, chez Pascin dans les années 1920. Mais ce sont des dessins, ou des dessins réhaussés d'aquarelle. » HB : « En général, les scènes d'homosexualité féminine, y compris chez Courbet, sont liées à la prostitution. »
« Les Demoiselles d'Avignon », « un tableau sur la syphilis »
PhD : « Les œuvres sur les filles de maison sont très nombreuses, mais évidemment, le tableau de bordel par excellence, c'est Les Demoiselles d'Avignon (1907),
d'autant plus que le sujet, c'est les maladies vénériennes. Ce que l'on
ne voit pas dans l'état actuel du tableau, mais on en connaît la genèse
par le menu. A l'origine, il n'y a pas cinq, mais six filles au salon,
dont on voit les rideaux à l'arrière plan, il y a un marin attablé au
centre du tableau, le client, et un étudiant en médecine qui entre dans
la toile par le bord gauche. Selon les esquisses, il porte tantôt une
espèce de cartable, tantôt un crâne. Parce que les étudiants en médecine
de l'université de Barcelone – mais c'était le cas dans toutes les
universités des grandes villes – faisaient des visites médicales à but
hygiénique dans tous les bordels de la ville. Et donc, ce que Picasso
avait d'abord voulu représenter,
c'était moins la prostitution que la peur de la maladie vénérienne. A
laquelle il avait d'ailleurs précédemment consacré un tableau, L'Entrevue (les deux sœurs) (1902), en allant du côté de l'hôpital Saint-Lazare, où étaient soignées les filles malades. Les Demoiselles d'Avignon, c'est un tableau sur la syphilis. La prostituée y apparaît comme une victime : elle est vouée à la maladie. »
« Une dimension critique envers les clients des prostituées » chez Otto Dix
PhD : « Souvenir de la galerie des glaces à Bruxelles
est l'un des rares tableaux qui décrit vraiment une scène de bordel
dans un contexte particulier : il montre un soldat allemand dans un
bordel de Bruxelles pendant la première guerre mondiale, quand la ville
est occupée par l'armée
impériale allemande. Une prostituée nue est sur ses genoux, il boit du
champagne. Là, on est pour une fois devant une représentation
extrêmement explicite, et très caricaturale en même temps. De surcroît
dans un contexte de guerre, avec tout ce que cela peut supposer, puisqu'à la fois, plus il y a d'armée, plus il faut de bordels, plus il y a de bordels, plus il y a de “besoins” de filles, et donc plus on peut assister
à des choses extrêmement traumatisantes – qu'on a d'ailleurs beaucoup
vues pendant la seconde guerre mondiale, où des populations féminines
entières ont été razziées pour devenir
des filles à soldats, en particulier en Extrême-Orient. En temps de
conflit, on est dans des contextes de prostitution forcée et
militairement organisées. On trouve par ailleurs une dimension de
critique envers les clients des prostituées chez Dix, ou encore chez
Grosz, avec des types crispés qui regardent les prostituées à la
fenêtre. Chez Forain aussi, il y a un tableau qui s'appelle Au salon, où il y a un monsieur prostré avec son manteau et son chapeau qui regarde les filles qu'on fait défiler devant lui. On peut considérer qu'il y a un regard assez acerbe porté sur le client... »
HB : « Dans la production de tableaux de genre, il n'y a pas vraiment eu de commandes prestigieuses. Pour décorer les bordels, on s'adressait rarement à de grands artistes. » PhD : « Il y a un truc énigmatique, mais
malheureusement, je crois qu'on n'a jamais mis la main dessus : il y a
une rumeur un peu insistante qui dit que pendant la seconde guerre
mondiale, Picabia avait vraiment besoin d'argent et avait accepté de réaliser
un ensemble de peintures licencieuses pour les salons d'un bordel à
Alger. Ces tableaux auraient été livrés au commanditaire, mais on ne les
a jamais vus... »
Le malentendu des odalisques, l'ambiguïté du statut de modèle
PhD : « Les odalisques représentent des scènes de harem, or
techniquement, le harem n'est pas un lieu de prostitution. A l'inverse,
la peinture orientaliste va certainement de pair avec la vogue de la
prostitution en Europe occidentale dans la deuxième moitié du XIXe siècle, et qui projette un fantasme et un exotisme très faciles sur la figure de l'Orientale, ce qui au fond permet de suggérer que la prostituée, c'est toujours l'autre.
Au XIXe siècle, la prostituée est aussi pour l'artiste une femme que l'on peut commodément voir nue, ce qui n'est pas si facile à l'époque. Cette manne de modèles peut brouiller les frontières. Et il existe une classe intermédiaire où l'on peut basculer
du côté du modèle, de la compagne d'artiste, mais aussi, en cas de
misère ou d'abandon, du côté de la prostitution. Dans les tableaux, ce
sont ces filles qui se promènent aux Tuileries et qui sont un peu trop
habillées, un peu trop voyantes, ou qui se mettent à la fenêtre. Cette
frontière trouble apparaît dans les tableaux, le théâtre, dans les
romans, dans la chanson... Plus tard, dans l'entre-deux guerre, il y a
un exemple très célèbre : Kiki de Montparnasse. Elle a été une
prostituée plutôt de base, si l'on peut dire, avant de devenir un modèle, et en particulier pour Man Ray, et donc d'accéder à une célébrité artistique considérable. Man Ray était un habitué des bordels de Montparnasse, et c'est là qu'il l'a repérée. »
« Roxys » (1961) d'Edward Kienholz, un bordel reconstitué
HB : « Ça me fait penser à une œuvre que je trouve majeure, qui est une grande installation de Kienholz, qui appartient à François Pinault, qui l'a exposée à la Punta de la Dogana, à Venise,
et qui est la reconstitution d'un bordel américain pendant la seconde
guerre mondiale à proximité d'une base américaine. On a tous les
éléments dans une ambiance un peu fantomatique, avec de la musique : le
salon, la porte qui mène aux chambres, les uniformes des soldats
accrochés. Sur une coiffeuse, on voit des petits souvenirs personnels,
c'est très impressionnant et très tendre à la fois. »