martes, 17 de diciembre de 2013

lunes, 9 de diciembre de 2013

Pintura: La prostitución a través de las artes. (Reportaje de le Monde)

 http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/12/07/la-prostitution-a-travers-les-arts-la-peinture-chapitre-8_3526620_3246.html

Après le cinéma, la littérature, le théâtre (ici et ), l'opéra, le blues ou la chanson réaliste, la prostitution dans la peinture est le dernier volet de notre série interrogeant les références à la prostitution à travers les arts, dans le contexte du débat et de l'adoption de la loi, le 4 décembre à l'Assemblée nationale, visant à pénaliser les clients.

Quand on provoque une discussion entre deux spécialistes de l'histoire de l'art, en l'occurrence Philippe Dagen et Harry Bellet, journalistes au Monde, sur les représentations de la prostitution à travers les siècles, elle est forcément animée et érudite. Voici dix points clés qui sont ressortis de cet échange.

  • La « Laïs de Corinthe » d'Holbein : un portrait « exceptionnel »
"Laïs de Corinthe" (1526), attribuée à Holbein.
Harry Bellet : « La première peinture à laquelle on pense, c'est la Laïs de Corinthe (1526), attribuée à Holbein, qui est au Kunstmuseum de Bâle. Laïs de Corinthe était une des grandes cocottes de l'Antiquité, et quand il s'agit de représenter une prostituée, de luxe en l'occurrence – en Grèce, elle rendait fous tous les mâles et jusqu'aux philosophes –, Holbein au XVIe siècle choisit ce personnage. Et c'est parlant dans ce portrait : elle est habillée, elle est assise devant une table, mais il y a de l'argent. Ce n'est donc pas du tout une vision grivoise, c'est  la description d'une femme vénale. A ceci près qu'à l'époque d'Holbein, concernant ce que nos députés ont décidé, ce sont les autorités locales qui prennent la décision d'ouvrir des maisons de passe. Au milieu du XVe siècle, il y a un concile à Bâle, qui va attirer les plus grands noms de l'Eglise de l'époque. Le concile se réunit pour plusieurs années, et en prévision de l'arrivée massive de clercs, la municipalité décide et finance l'ouverture de deux bordels en périphérie du centre-ville. Il s'agit fondamentalement d'éviter que les jeunes mâles, célibataires ou pas, aillent taquiner les bourgeoises. »
Philippe Dagen : « Quand on fait de la peinture à cette époque-là, ce n'est pas pour peindre des prostituées. On fait de la peinture pour des églises, pour des couvents, pour des monastères, on ne va pas peindre des prostituées. La seule que l'on peigne éventuellement, c'est Marie-Madeleine, mais c'est toujours une Marie-Madeleine repentante. »
HB : « Oui, ce tableau est exceptionnel dans la production du XVIe siècle. A l'époque, on fait rarement un tableau qui n'est pas une commande. On ne sait pas pourquoi Holbein l'a fait. Mais c'est aussi un moment où, avec la montée du protestantisme à Bâle, il y a un débat sur la prostitution... Il est possible, par ailleurs que le tableau ait choqué, parce que le modèle est parfaitement connu des Bâlois de l'époque : c'est Magdalena Von Offenburg, qui est la veuve d'un ancien édile de la ville. On ne sais pas très bien si elle savait qu'elle représenterait une prostituée lorsqu'elle a posé, mais le fait de la représenter en cocotte n'est pas d'une tendresse absolue. »
PhD : « Sinon, à la même époque, il y avait de nombreuses gravures sur le sujet, parce que ça passe mieux, que ça ne coûte pas cher à faire, celles d'Urs Graf notamment. »
  • « L'Entremetteuse » de Vermeer, premier grand tableau sur une scène de prostitution
"L'Entremetteuse" de Vermeer (1656).
PhD : « Dans les scènes de taverne des peintres flamands, style Teniers, ce ne sont pas forcément des prostituées qui sont représentées, ce peut être des gai-luronnes, des commères, qui peuvent avoir une certaine légèreté, mais qui ne seront pas payées. Pour prendre un terme du vieux français, ce sont des ribaudes, c'est à dire des femmes de joyeuse vie, ce qui n'en fait pas des prostituées. Ce sont deux situations sociales différentes. Je pense que le tableau représentant une scène de prostitution le plus ancien, c'est L'Entremetteuse (1656) de Vermeer, avec la femme qui tend la main pour recevoir de l'argent. On comprend parfaitement que l'on est dans une scène de commerce. »
HB : « Antérieurement, on peut bien sûr penser à Pompéi, avec les plus anciennes représentations de la prostitution dont on ait la trace, mais ce sont des décors érotiques sur les murs d'un bordel. »
PhD : « Et à Pompéi, on n'est pas dans une société chrétienne, donc le rapport au sexe est quand même très différent, il n'y a pas de rapport à la damnation et au péché. »
HB : « Au début du Moyen-Age, les pères de l'Eglise chrétienne estimaient que la prostitution était nécessaire. Il n'y a pas de condamnation théologique du recours à la prostitution. Après le XVIe siècle, il y a un grand changement, mais pour l'Eglise du XVe siècle, la prostitution est normale, même si elle n'est pas pour autant représentée dans les tableaux. »
PhD : « Et surtout pas les tableaux religieux ! Elle est normale dans la société chrétienne, mais elle est masquée. Alors qu'à Pompéi, elle se donnait à voir tout à fait librement. »
  • Le cas Manet, « le roi de l'ambiguïté »
"Olympia" (1863) d'Edouard Manet.
HB : « Les grandes cocottes du XIXe , telles Cléo de Mérode ou Liane de Pougy, ne se laissent pas représenter comme telles, mais il y a L'Olympia [1863], de Manet, qui en est une. Elle est dans son lit avec un petit chat, on voit une certaine aisance, ne serait-ce que par la présence de la servante, qui apporte des fleurs, l'hommage d'un admirateur passé, présent ou à venir. C'est une de ces jeunes femmes qui se sont élevées socialement avec les moyens qu'elles avaient, et à l'époque, la référence est évidente. »
PhD :« Le tableau a pu choquer, mais il montre les choses telles qu'elles étaient, dans leur banalité. Le Déjeuner sur l'herbe est aussi un tableau qui fait juste un constat sur les plaisirs champêtres. »
HB : « C'est d'ailleurs une reprise d'un grand tableau de l'histoire de l'art, Le Concert champêtre de Giorgione, comme L'Olympia reprend la Vénus du Titien... »
PhD : « Il y a une actualisation du nu, qui est modernisé et qui est inscrit dans une réalité sociale. Pourtant les réactions contre les œuvres de Manet ont été extrêmement violentes, ce qu'il n'avait pas du tout anticipé. Lui avait le sentiment qu'il peignait son monde, et ces réactions l'ont plutôt pris au dépourvu, et même affligé. Hormis L'Olympia, qui est véritablement un portrait de demi-mondaine, Manet est quand même le roi de l'ambiguïté : Le Balcon est un portrait de famille, alors que les femmes qui apparaissent sur les balcons à l'époque sont habituellement des prostituées. Il y a aussi la serveuse d'Un bar aux Folies-Bergères. Il joue sur le trouble entre des définitions sociales. »
  • « Une étude des corps presque zoologique chez Degas »
"La Fête de la patronne" (1877) d'Edgar Degas.
HB : « Il n'y a pas plus de volonté de choquer chez Manet que chez Degas, qui se considérait comme “un pur classique ”. »
PhD : « L'époque peut ne pas aimer le reflet qu'on lui tend, mais ce n'est plus le problème de l'artiste, c'est le problème de l'époque. Quand Degas va dans les maisons de passe, dans le fond, il y va comme il va observer les danseuses à l'opéra, de manière anatomique : il va voir des gestes. Il s'agit pour lui d'avoir une sorte de catalogue des positions du corps humain dans des situations où on ne l'a généralement que peu ou mal observé, cela a un caractère presque zoologique, pour comprendre le corps, voir le corps. Même si dans certains tableaux, il y a une dimension un peu narquoise, comme dans La Fête de la patronne [de l'ensemble de monotypes qu'il a réalisés entre 1876 et 1879 et connu sous le nom de “Scènes de maisons closes”]. C'est une scène de genre, une cérémonie familiale dans un milieu clos où des liens de tendresse se créent. Ce sont des femmes qui sont enfermées dans un lieu dont elles ont souvent le plus grand mal à sortir, sauf circonstances particulières – pour aller à la messe par exemple ! –, et qui vivent entre elles. »
HB : « Elles paraissent certes un peu caricaturales... Il faut dire que Degas est très misogyne. »
PhD : « L'industrie de la photographie pornographique, qui a été extrêmement prospère tout au long du second Empire, donne une idée quand même très précise du physique des pensionnaires des maisons closes, et ce n'était pas des beautés ! C'était souvent des filles-mères, qui se sont retrouvées placées là par la misère ou l'opprobre. Elles sont là parce qu'elles ne peuvent pas être ailleurs. »
  • Toulouse-Lautrec, « le plus prolifique »
"Le Salon de la rue des Moulins" (1894), de Henri de Toulouse-Lautrec.
HB : « Il y a un aspect qui faisait partie du débat d'aujourd'hui sur la pénalisation des clients de la prostitution : la question des clients handicapés, et on pense immanquablement au cas de Toulouse-Lautrec [il avait développé dès l'enfance une maladie affectant le développement des os, due à la consanguinité de ses parents, cousins germains]. Lautrec est au bordel par plaisir, certes, mais par nécessité aussi. Il y trouve une vraie affection, c'est un peu la mascotte des bordels qu'il côtoie. C'est un tout petit bonhomme sympathique, bien élevé, il ne méprise pas les prostituées, il leur parle bien. Il y avait toute une partie de la population qui n'avait pas accès au sexe en dehors du bordel. »
PhD : « Il avait gagné le sympathique surnom de “la cafetière”... [il souffrait de priapisme]. Lautrec a été le plus prolifique au XIXe siècle, mais il y a aussi beaucoup de scènes de bordel, y compris des scènes d'homosexualité féminine à comprendre comme des scènes de bordel, chez Pascin dans les années 1920. Mais ce sont des dessins, ou des dessins réhaussés d'aquarelle. »
HB : « En général, les scènes d'homosexualité féminine, y compris chez Courbet, sont liées à la prostitution. »
  • « Les Demoiselles d'Avignon », « un tableau sur la syphilis »
"Les Demoiselles d'Avignon" (1907) de Pablo Picasso.
PhD : « Les œuvres sur les filles de maison sont très nombreuses, mais évidemment, le tableau de bordel par excellence, c'est Les Demoiselles d'Avignon (1907), d'autant plus que le sujet, c'est les maladies vénériennes. Ce que l'on ne voit pas dans l'état actuel du tableau, mais on en connaît la genèse par le menu. A l'origine, il n'y a pas cinq, mais six filles au salon, dont on voit les rideaux à l'arrière plan, il y a un marin attablé au centre du tableau, le client, et un étudiant en médecine qui entre dans la toile par le bord gauche. Selon les esquisses, il porte tantôt une espèce de cartable, tantôt un crâne. Parce que les étudiants en médecine de l'université de Barcelone – mais c'était le cas dans toutes les universités des grandes villes – faisaient des visites médicales à but hygiénique dans tous les bordels de la ville. Et donc, ce que Picasso avait d'abord voulu représenter, c'était moins la prostitution que la peur de la maladie vénérienne. A laquelle il avait d'ailleurs précédemment consacré un tableau, L'Entrevue (les deux sœurs) (1902), en allant du côté de l'hôpital Saint-Lazare, où étaient soignées les filles malades. Les Demoiselles d'Avignon, c'est un tableau sur la syphilis. La prostituée y apparaît comme une victime : elle est vouée à la maladie. »
  • « Une dimension critique envers les clients des prostituées » chez Otto Dix
"Souvenir de la galerie des glaces à Bruxelles" (1920), d'Otto Dix.
PhD : « Souvenir de la galerie des glaces à Bruxelles est l'un des rares tableaux qui décrit vraiment une scène de bordel dans un contexte particulier : il montre un soldat allemand dans un bordel de Bruxelles pendant la première guerre mondiale, quand la ville est occupée par l'armée impériale allemande. Une prostituée nue est sur ses genoux, il boit du champagne. Là, on est pour une fois devant une représentation extrêmement explicite, et très caricaturale en même temps. De surcroît dans un contexte de guerre, avec tout ce que cela peut supposer, puisqu'à la fois, plus il y a d'armée, plus il faut de bordels, plus il y a de bordels, plus il y a de “besoins” de filles, et donc plus on peut assister à des choses extrêmement traumatisantes – qu'on a d'ailleurs beaucoup vues pendant la seconde guerre mondiale, où des populations féminines entières ont été razziées pour devenir des filles à soldats, en particulier en Extrême-Orient. En temps de conflit, on est dans des contextes de prostitution forcée et militairement organisées. On trouve par ailleurs une dimension de critique envers les clients des prostituées chez Dix, ou encore chez Grosz, avec des types crispés qui regardent les prostituées à la fenêtre. Chez Forain aussi, il y a un tableau qui s'appelle Au salon, où il y a un monsieur prostré avec son manteau et son chapeau qui regarde les filles qu'on fait défiler devant lui. On peut considérer qu'il y a un regard assez acerbe porté sur le client... »
  • Des tableaux de Picabia pour décorer un bordel ?
HB : « Dans la production de tableaux de genre, il n'y a pas vraiment eu de commandes prestigieuses. Pour décorer les bordels, on s'adressait rarement à de grands artistes. »
PhD : « Il y a un truc énigmatique, mais malheureusement, je crois qu'on n'a jamais mis la main dessus : il y a une rumeur un peu insistante qui dit que pendant la seconde guerre mondiale, Picabia avait vraiment besoin d'argent et avait accepté de réaliser un ensemble de peintures licencieuses pour les salons d'un bordel à Alger. Ces tableaux auraient été livrés au commanditaire, mais on ne les a jamais vus... »
  • Le malentendu des odalisques, l'ambiguïté du statut de modèle
Kiki de Montparnasse sur une photo prise par Man Ray dans les années 1920.
PhD : « Les odalisques représentent des scènes de harem, or techniquement, le harem n'est pas un lieu de prostitution. A l'inverse, la peinture orientaliste va certainement de pair avec la vogue de la prostitution en Europe occidentale dans la deuxième moitié du XIXe siècle, et qui projette un fantasme et un exotisme très faciles sur la figure de l'Orientale, ce qui au fond permet de suggérer que la prostituée, c'est toujours l'autre.
Au XIXe siècle, la prostituée est aussi pour l'artiste une femme que l'on peut commodément voir nue, ce qui n'est pas si facile à l'époque. Cette manne de modèles peut brouiller les frontières. Et il existe une classe intermédiaire où l'on peut basculer du côté du modèle, de la compagne d'artiste, mais aussi, en cas de misère ou d'abandon, du côté de la prostitution. Dans les tableaux, ce sont ces filles qui se promènent aux Tuileries et qui sont un peu trop habillées, un peu trop voyantes, ou qui se mettent à la fenêtre. Cette frontière trouble apparaît dans les tableaux, le théâtre, dans les romans, dans la chanson... Plus tard, dans l'entre-deux guerre, il y a un exemple très célèbre : Kiki de Montparnasse. Elle a été une prostituée plutôt de base, si l'on peut dire, avant de devenir un modèle, et en particulier pour Man Ray, et donc d'accéder à une célébrité artistique considérable. Man Ray était un habitué des bordels de Montparnasse, et c'est là qu'il l'a repérée. »
  • « Roxys » (1961) d'Edward Kienholz, un bordel reconstitué
"Roxys" (1962) d'Ed Kienholz.
HB : « Ça me fait penser à une œuvre que je trouve majeure, qui est une grande installation de Kienholz, qui appartient à François Pinault, qui l'a exposée à la Punta de la Dogana, à Venise, et qui est la reconstitution d'un bordel américain pendant la seconde guerre mondiale à proximité d'une base américaine. On a tous les éléments dans une ambiance un peu fantomatique, avec de la musique : le salon, la porte qui mène aux chambres, les uniformes des soldats accrochés. Sur une coiffeuse, on voit des petits souvenirs personnels, c'est très impressionnant et très tendre à la fois. »

domingo, 1 de diciembre de 2013